Maintenant, s'il y a une chose qui a touché ma fibre sensible, c'est sans aucun doute la découverte d'un auteur de la stature d'Anna Starobinets.
Voici sa deuxième anthologie de nouvelles La glande d'Icare, mais l'écrivain russe s'est fait une place dans la littérature dystopique il y a quelques années lorsque Nevsky a publié sa première anthologie de nouvelles" A Difficult Age "(2012), qui a été suivie par le roman "The Living One" (2012). J'étais complètement aveugle et sourd à ce géant de la littérature de science-fiction. Je ne la connaissais pas complètement et quand j'ai vu son nom entre les conférences du festival, j'ai décidé de l'essayer. Celui qui essaie les Starobinets ne lâche pas prise, je vous préviens. Un avertissement pour de bon si vous voulez profiter de la bonne science-fiction et des histoires psychologiques troublantes qui révolutionnent tout ce qui vous entoure. Son style est simple, aussi proche que ses histoires. Et en même temps, et c'est ce qu'il y a de bien dans ses histoires, vous espérez que la vraie vie ne deviendra jamais ce qu'elle semble anticiper. Oui, on pourrait classer son genre de ce qu'on appelait l'anticipation, par la capacité d'entrer dans un avenir pas si lointain, bien qu'a priori impossible, comme "chose de science-fiction".
Je suis d'accord avec l'un de mes collègues critiques, qui a déjà eu le plaisir de lire Starobinets et d'écrire sur "A Difficult Age", dans lequel sa force réside dans le fait que le lecteur se voit lui-même et les autres dans des situations dans son environnement réel, comme s'il avait le pouvoir d'entrer dans les histoires qu'il invente. Elle va au-delà de la rupture du quatrième mur, qui se dit au théâtre ; ce n'est pas le monde fictif représenté qui avance vers le public, mais dans l'autre sens, c'est nous qui sommes complètement immergés dans l'histoire. Et à cause de ce qui y est raconté, croyez-moi, c'est très effrayant.
La glande d'Icare est sous-titrée "Le Livre des Métamorphoses". Voici l'élément qu'ils ont en commun, le cadre qui entoure les sept histoires qui composent l'anthologie. Le processus du changement, la métamorphose comme dans Kafka, une référence dans le récit des Starobinets. Transformations physiques et psychologiques, insectes, supplantements de corps, transformations qui produisent en nous l'environnement, comme les villes, la technologie. Sept nouvelles -extension où la science-fiction est mieux défendue, car c'est dans le concept où elle déploie ses vertus-, sur le processus de changement d'une belle facture et un grand pouvoir d'attraction ; comme le disent le maître et son compatriote Nabokov sur le fait que le bon écrivain est avant tout un filou qui possède les trois qualités nécessaires : magie, narration et leçons.
L'histoire qui donne titre à l'anthologie développe une société dans laquelle les hommes, sur recommandation de l'État, sont débarrassés de la glande qui génère des hormones qui conduisent à un comportement agressif, primitif, presque animal. Ainsi, entre autres, les infidélités, les violences provoquées par cette explosion hormonale et d'autres mauvaises pratiques qui seraient éradiquées et qui contribueraient à promouvoir un mode de vie sain et pacifique seront évitées. On dirait une société parfaite. Il semble. D'une transformation, d'autres surgissent, comme les plus instinctives et irrationnelles : jalousie, insécurité, sentiment de culpabilité, désinformation sur Internet. Super cette histoire.
Pour ne pas trop égrener le reste des histoires, je dois dire, et en guise de conclusion, que le niveau de tension pour le lecteur est très élevé. Il y a eu un moment où j'ai dû arrêter de lire et soudainement fermer le livre parce que je lisais une des histoires dans laquelle, et ce n'est pas une blague, j'ai dû crier : "Dieu ! Ça arrive ! La littérature de science-fiction, et plus encore la littérature qui se plonge dans le sous-genre de l'anticipation, a tendance à laisser un arrière-goût amer, comme le baiser que l'on reçoit quand la personne qu'on aime entre chez soi et que, un instant auparavant, on réalise qu'elle ne porte pas notre bague. Vous voulez l'embrasser, vous voulez plus de cette littérature, mais cachez quelque chose de sombre qui va hanter votre conscience pendant longtemps."