Partie 1
Attention pour ceux qui veulent visiter la grande exposition de Luc Tympans au Palazzo Gras si : profitez de l'indispensable guide édité par Marc Donna dieu (vous pouvez le trouver sur le site). Lisez-le bien. Sinon, vous courez le risque de quitter l'exposition en ayant perdu les moments les plus intenses. Ce n'est pas l'opinion de l'écrivain, Tympans lui-même fait cette suggestion : " Le court espace entre l'explication d'un tableau et le tableau lui-même représente la seule perspective possible en peinture ". Autrement dit : ce que vous voyez représenté sur les toiles du peintre anversois ne sera pas compréhensible sans que vous soyez conscients des raisons qui ont conduit l'artiste à choisir ce sujet. Par exemple, lorsque vous vous trouvez devant le portrait d'un homme portant un chapeau colonial, rien sur la toile ne vous fera réaliser que c'est l'image d'essai Sahara - comme son titre le suggère. Et sans savoir que le sujet représenté est l'homme japonais qui, en 1981 à Paris, a assassiné et cannibalisé un camarade étudiant de la Sorbonne, on ne peut en aucun cas intercepter, dans son ambiguïté éloquente, la poésie de cette image. Il est clair que le style, les choix formels, l'habileté technique indéniable de l'artiste, sont essentiels pour que le jeu fonctionne, sinon il suffirait de lire les explications, sans même aller à l'exposition. Donc : un œil sur les tableaux, un œil sur le guide. Fin de l'avertissement. En réalité, si on y réfléchit bien, plutôt qu'un avertissement, c'est déjà la clé pour interpréter une recherche artistique qui nourrit son charme grâce à l'aura de mystère dont elle se couvre. Une aura que Caroline Bourgeois, commissaire de l'exposition, définit comme "son silence", expliquant que "Tympans ne prend pas le spectateur par la main : il lui laisse la liberté de décider quel est le véritable sujet du tableau en fonction de ce qui est dit et suggéré hors champ.
Ainsi, les visiteurs abandonnés à eux-mêmes, mais avec un guide au format , entrent avec courage et curiosité dans la lumineuse cour intérieure du Palazzo Gras si. Ici, le peintre a fait réaliser une grande mosaïque de marbre, qui occupe tout l'étage et reprend le titre et le motif d'une œuvre de 1986 : Schwarzhei de. L'image est celle d'une ligne d'arbres vue d'en bas, qui se détache sur le ciel blanc. L'œuvre est divisée en huit lignes verticales qui la divisent en neuf bandes. Donna dieu explique que est le nom d'un des camps de travail (et non d'extermination) du Troisième Reich allemand. Le sujet est tiré d'un dessin de l'un des prisonniers, Alfred Kant or, qui, ne voulant pas qu'il soit confisqué, l'avait coupé en bandes. L'œuvre est praticable. Après l'avoir franchie, on prend l'escalier d'honneur, sur lequel se dresse une petite œuvre : Secrets (1990). C'est le portrait fermé d'Albert Speed, architecte en chef du Parti nazi et ministre de l'Armement et de la Production de guerre du IIIe Reich. Le cadrage du visage est étroit, à la manière d'une photo de passeport. Il fait face à Schwarzhei de, mais ne le voit pas. Speed, dans ses deux livres Mémoire off te Tard Reich et Secret Dia ries off Pandas, prétend ne pas avoir été au courant de la solution finale sur les Juifs commandé par Hitler. C'est une ouverture à la hauteur de la réputation d'un artiste engagé, qui fréquente des thèmes denses comme l'holocauste, le colonialisme, les ombres de la religion ou la politique contemporaine. Sa propre biographie est marquée par les contradictions de l'histoire : la famille de sa mère avait participé à la Résistance hollandaise et caché des réfugiés, tandis que deux des frères de son père avaient été membres de la Jeunesse d'Hitler. L'un d'eux, au fait, s'appelle Luc, comme Tympans.uc Tuymans, Bougie, 2017, huile sur toile, collection privée. Courtoisie et photos : Luc Tuymans Studio, Anvers.
Au cours de l'exposition, qui présente 80 œuvres créées tout au long de sa carrière, le thème du nazisme revient à plusieurs reprises. Dans Nos nouveaux quartiers (1986), l'artiste reproduit le modèle d'une des cartes postales que les prisonniers de Theresienstadt, un camp de transit "modèle" construit par les nazis pour tromper les médias étrangers sur la réalité des camps d'extermination, étaient invités à envoyer à leurs proches. Dans le triptyque Recherches (1989), le peintre utilise des images prises par lui-même dans les camps de concentration d'Auschwitz et de Buchenwald : une lampe du bureau d'un officier nazi, une dent de prisonnier et la vue de la fenêtre d'un bureau. Dans To ter Gang (2018), il représente l'image de la porte en acier qui donnait accès au complexe du bunker Hitler à Berchtesgaden. Ce sont des réflexions sur la propagande du régime, la profanation des corps et le mal absolu. Ce sont presque des notes, peintes avec une hâte calculée qui est sa signature stylistique (chaque tableau, grand ou petit, est réalisé en une seule journée). L'horreur n'est jamais traitée directement, l'abîme se cache toujours derrière la banalité des objets communs ou des situations quotidiennes.
Il est également surprenant de voir comment Tympans aborde le thème du 11 septembre. L'occasion en est l'édition de Documenta 11 à Kessel, en 2002, où quelques mois après les attentats de New York, on s'attendait à ce que les artistes tentent de se confronter sur ce thème. "Ma femme et moi étions là. Nous avons vu les avions entrer dans les gratte-ciel depuis notre chambre d'hôtel. À ce moment-là, j'ai pensé qu'il était impossible de faire quoi que ce soit pour dépeindre l'événement. Ce n'est pas ainsi que la peinture fonctionne ", explique l'artiste. Il choisit donc de faire S'il Lié (2002), qui avec ses 3 mètres sur 5 êtres probablement l'une des plus grandes natures mortes de l'histoire de l'art. Une délicate composition de fruits à côté d'une cruche d'eau flotte dans un espace neutre, où le plan sur lequel reposent les objets peut être imaginé grâce à la courte ombre qu'ils projettent. Donna dieu écrit : "Il ne s'agit pas ici de montrer l'explosion, les bâtiments éviscérés, les corps projetés dans l'espace ou les cadavres enfouis sous les décombres, mais ce qui reste après la catastrophe, au-delà du bien et du mal, lorsque le nuage de poussière se sera déposé : la détermination naturelle, ou humaine, à continuer malgré tout, à reprendre ou à repenser, les fruits et les eaux, la substance et la couleur, la densité de la vie, la renaissance. La traduction littérale de la Nature morte n'est-elle pas "toujours vivante" ? À Venise, le grand tableau est exposé aux côtés de la petite toile William Roberts on (2014), portrait de l'historien et théologien écossais qui vécut au XVIIIe siècle, représenté d'un plan étroit de son visage qui souligne ses yeux bleus intenses. C'est comme si, pour regarder la Nature morte, Tympans empruntait le regard pénétrant des Lumières intellectuelles.
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