Grand lecteur de Plutarque, Shakespeare a compris que les hommes et leurs dirigeants, à la fin de la République romaine, au temps de César et d’Auguste, étaient aussi violents, désordonnés et ténébreux que dans l’Angleterre élisabéthaine. Et une autre lecture de Rome était enseignée dans les écoles , nous apprend Yves Bonnefoy, celle qui admirait le droit romain, l’éloquence de Cicéron, la philosophie stoïcienne» et qui donnait une valeur exemplaire à quelques grandes figures qui incarnaient à Rome la rigueur morale et la lucidité du jugement. Etre un Romain revenait à incarner la raison qui se serait détachée des passions, comme dit Brutus dans Jules César, tout en soupçonnant l’Empereur de dérapage.
Le metteur en scène et directeur du Centre dramatique de Lorient a voulu représenter ces débats d’idées, duels verbaux, polémiques et controverses dans une scénographie bi-frontale. Le public est donc très proche de ces hommes politiques, volontaires et porteurs de projets mais aussi entraînés par des désirs personnels et quoiqu’ils disent, soumis à la vengeance, à la jalousie et âpres au gain. César est le héros de cette tragédie shakespearienne, possède une intelligence aigüe dans l’élaboration de la loi, comme sur les champs de bataille, tout comme Brutus aux grands principes césariens mais qu’une arrière-pensée mine pourtant insidieusement. Il ressemble ici à un Hamlet inquiet.
Rodolphe Dana a resserré l’intrigue qui est d’une gravité austère et a conçu une distribution à parité exacte, quel que soit le rôle. Autour d’un César à la sérénité lumineuse de Martine Chevallier, les sénateurs conspirateurs Météllus (Françoise Gillard), Decius (Jérôme Pouly), Cinna (Christian Gonon), Nâzim Boudjenah (Brutus), Casca (Noam Morgensztern), Trébonius( Claire de la Rüe du Can), et Ligarius (Jean Joudé). Georgia Scalliet est elle, le fidèle Marc-Antoine. Tous, embarqués dans l’aventure politique, ils ne cèdent à l’adversaire nulle chance de défense ni de salut. Chacun, tyran, souhaite éradiquer le tyran et n’obéit qu’à sa seule volonté inavouée. Seul, Brutus pense loyalement à l’intérêt général et au bien public.
L’angoisse fait son chemin et des signes confus se bousculent: la lecture des astres n’est plus fiable, un orage éclate, des lions et lionnes errent à Rome et il y a dans le ciel, des visions apocalyptiques: combats militaires, incendies… Avec une impression d’irréalité quand César va rencontrer la foule, alors qu’un inconnu lui conseille de «craindre les Ides de Mars»: une menace du sort loin d’atteindre César à qui son épouse demande de ne pas se rendre au Sénat. Ce que l’Empereur ferra tout de même; bien mal lui en prit et les conspirateurs le frapperont chacun leur tour, jusqu’à son ami Brutus. Le fameux : « Tu quoque, mi fili», ultime parole d’horreur et déception quand César reçoit les coups mortifères, et destinée à Brutus, le seul en qui il pouvait avoir confiance et qui l’a trahi!
La langue des conspirateurs est limpide et pour cette tragédie, Rodolphe Dana a conçu une dramaturgie faite de poésie, symboles et réalisme politique. Comme si ne restaient que les fils à la fois ténus et acérés d’arrière-pensées stratégiques… C’est à qui sera le plus résolu à accomplir un dessein meurtrier, et au-delà du sang versé, pour un prétendu avantage de la communauté! Une conjuration qui fait froid dans le dos.
Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène de Claude Stratz
Disparu en 2007, Claude Stratz reste en vie avec cette très belle mise en scène qui a déjà eu cinq cent représentations notamment aux Etats-Unis et en Chine. Bien entendu depuis sa création, la distribution a changé mais elle reste toujours aussi impeccable.
Argan obsédé par ses maladies diverses, veut marier sa fille Angélique à Thomas Diafoirus, fils de son médecin pour, espère-t-il, se faire soigner sans problème. Sa femme Béline, attend sa mort avec impatience pour profiter de son héritage. Mais heureusement, son frère Béralde parviendra à dévoiler toutes les machinations ourdies contre lui et Angélique parviendra à épouser son Cléante. Argan finira sacré lui-même médecin.
Il est assis sur son trône blanc de malade impressionnant qui se relève en dais au dessus du plateau. Il triomphera de sa maladie imaginaire, grâce à la complicité de Toinette qui se déguisera en médecin. La pièce est mise en musique par Marc Olivier Dupin et chorégraphiée par Sophie Mayer. La troupe de la Comédie Française, comme l’affirme Eric Ruf, est une école d’humilité, avec une passation de rôles: de de grands spectacles exceptionnels comme celui-ci vivent bien au delà d’une exploitation normale salle Richelieu.